Interview Zig : "je voulais rester en Bretagne…"

Stéphane Constant - Zig Stéphane Constant - Zig

Comment t’es venu l’envie de devenir éditeur designer ?
Quel est ton parcours ?

Par hasard, c’est le métier qui m’a choisi ! Je n’ai même pas fait d’école d’art graphique ou de beaux arts. Après des études ratées en informatique, il y a 15 ans, comme je me débrouillais bien avec un ordinateur et après avoir remporté un concours, j’ai trouvé un petit boulot à La Rochelle pour maquetter les écrans publicitaires projetés dans les salles de cinéma. Voilà, c’est comme ça que tout a débuté, je ne dessinais même pas à l’époque ! Par contre j’écrivais beaucoup (un livre jamais publié) et j’avais une bonne formation de pianiste jazz. J’ai ensuite travaillé pour le multimédia (cédéroms Atlas par ex.) puis débarqué en Bretagne pour rejoindre une agence de communication… et ensuite une deuxième. J’ai beaucoup appris à cette époque, découvert l’univers des imprimeurs, pratiqué la photo (j’ai même un labo photo argentique chez moi), dessiné puis exposé mes peintures. J’ai aussi toujours aimé les ateliers, le papier, la gravure, la lithographie, les livres et plein de vieux trucs que je collectionne. Il faut dire que je viens aussi d’Angoulême en Charente, la ville de la bande dessinée et mes parents habitent tout près du Moulin du Verger où l’on fabrique encore du papier ! C’est sûr, j’avais envie de créer, mais je n’étais satisfait ni par ma peinture ou mes photos ni par mon travail de graphiste en agence.

Le déclic est venu avec l’exposition d’affiches sérigraphiées “Earthquakes & aftershocks” aux Beaux Arts de Rennes. Là je me suis pris une claque ! Je suis littéralement tombé amoureux de la sérigraphie pratiquée par les graphistes West coast américains. J’ai découvert de “grands” noms comme Jon Sueda et plus tard Saul Bass, Paula Scher et Jason Munn. Leurs affiches proposent un style d’illustration et une liberté de composition typographique qui m’a bluffé. Ma passion pour le vintage et le design des années 50 ont fait le reste : il fallait que je travaille ainsi en associant design graphique et travail artisanal pour revenir à l’essentiel. Pour partager ma passion avec les autres et tourner le dos au “tout numérique”, j’ai alors créé ma petite entreprise d’édition Dezzig (mon surnom de graphiste est Zig).

Dezzig - sérigraphie

Peux-tu nous éclaircir un peu plus sur la différence entre numérique/offset et sérigraphie ?
Le numérique concurrence l’imprimerie traditionnelle offset (sauf pour les grandes quantités comme les livres et catalogues par ex) mais la qualité n’est pas vraiment au rendez-vous. Pour obtenir des belles couleurs, de beaux encrages et une tenue dans le temps, une affiche sérigraphiée c’est vraiment autre chose ! Attention je parle d’estampes, d’édition d’art : l’artiste/graphiste est en mesure d’intervenir pendant le processus d’impression (nombre de passage, choix des couleurs, etc.). Toutes les couleurs sont composées les unes après les autres et utilisées en aplat. Cette qualité d’impression couleur par couleur permet une épaisseur d’encrage plus importante et une qualité de rendu de couleur sans équivalent. C’est un gros travail, il n’y pas de machine automatique pour tout faire en appuyant sur un bouton ! Ici tout est manuel. Le rendu final est somptueux parce qu’en touchant la surface du papier avec la main, et à la lumière, on révèle les différentes épaisseurs d’encre, les détails les plus complexes, les motifs les plus fins. Les couleurs peuvent être également mélangées directement sur le papier donnant des effets uniques de transparences qui ne peuvent pas être reproduits avec d’autres méthodes. Des encres métalliques (or, argent, etc.) ou fluorescentes peuvent aussi être utilisées ainsi que des vernis.

Dezzig - sérigraphie

On comprend bien aussi que la sérigraphie est particulièrement adapté aux illustrations (la bande dessinée l’utilise largement) et au graphisme, on n’imprime pas de photos. Les grandes masses de couleurs donnent une certaine simplicité qui associé à la typographie constituent un style atypique, souvent ludique et un peu rétro que j’appelle “sérigraphisme”. Aujourd’hui on parle de “lecture lente” pour certaines affiches complexes, voire peu lisibles , parce que ce ne sont pas des affiches à but commercial mais juste prétexte à expérimentation et jeu de construction graphique élaboré.

Fais-tu appel à des graphistes, artistes, pour imprimer ? Ou bien réalises-tu toi même tous tes visuels ?
Pour l’instant j’ai réalisé 6 autres visuels que je compte éditer petit à petit (patience !). Je travaille avec un très bon sérigraphe d’art et nous élaborons ensemble la composition des couleurs, le nombre de passages, les essais de surimpression pour obtenir de belles affiches : une vraie collaboration.
Je suis en contact avec des amis graphistes pour éditer prochainement leur travail, mais je suis encore ouvert à d’autres propositions. Cette phase de mon activité est importante, je respecte le travail des créatifs. Comme un véritable éditeur, je paye un droit d’exploitation + 15% royalties sur les ventes (ça c’est déjà plus rare !). Je suis aussi membre de l’Alliance française des designers pour m’engager dans une démarche éthique qui vise à ne pas exploiter la créativité d’autrui pour le coût minimum (donc le profit maximum). Je ne vais pas devenir riche rapidement c’est certain !

Stéphane Constant - Zig

Peux-tu nous parler un peu de la technique, de ses difficultés, de la raison qui a fait que tu as choisi celle ci plutôt qu’une autre… ?
Il m’a fallu un an de recherche et pas mal d’essais infructueux pour trouver l’artisan capable d’atteindre le niveau de qualité que je m’étais fixé, surtout sur de grand formats en 70×100 cm. La sérigraphie d’art est rare en France, et surtout je voulais rester en Bretagne, faire de l’artisanat local ! On trouve mes affiches en édition limitée parce que la sérigraphie coûte aujourd’hui plus cher qu’aucune autre technique d’impression.
Je m’engage donc financièrement dans une production, c’est un gros risque, ce n’est pas comme un système d’impression numérique à la demande dans lequel il est facile d’imprimer n’importe quoi (et n’importe comment…).
La grande difficulté est donc de vendre sur internet pour trouver mon public. Mais pas simple de montrer de la sérigraphie sur un écran d’ordinateur ! Il faut toucher, voir le rendu sur papier pour se rendre vraiment compte de la qualité obtenue, elles sont faites pour durer. Mes affiches sont aussi conçues pour le grand public : même si il y a une foule de choses en décoration murale dans les magasins de type Ikea, il y a de la place pour proposer des choses différentes et de la qualité à un prix accessible (surtout si on ne veux pas la même décoration que son voisin !).

Combien de temps mets-tu pour faire une seule affiche ?
Le temps est lié à la complexité du visuel mais surtout au temps qu’il faut pour trouver la bonne idée, c’est le mystère ! Pour l’affiche “Tête en mer” que j’ai créé dans mon atelier pour une exposition nautique, il m’a fallu environ 8 heures de travail. Cela passe par des croquis (et même des photos pour trouver la bonne posture !) et ensuite je réalise le visuel final sur mon ordinateur. Je l’utilise aussi pour faire la séparation des couleurs à l’aide de nuanciers papier, c’est un gros travail de préparation qui me prend encore quelques heures : un vrai casse-tête ! Parce qu’il faut “penser sérigraphie” au moment de la réalisation de l’affiche, il y a beaucoup de contraintes, il faut utiliser très peu de couleurs. Ensuite je passe une journée complète avec mon sérigraphe pour décider quelles teintes seront utilisées (les couleurs sont composées au mg près !) et une passe de 10 feuilles pour valider le tirage avant l’impression finale. C’est un processus assez long mais le résultat en vaut la peine.

Et la suite ?
Je vend en ligne pour l’instant sur Esty et sur mon nouveau site www.dezzig.com mais aussi dans de vraies boutiques comme la Galerie Issue à Paris (via Sergeant Paper) et à la Librairie l’Index à Nantes. J’ai aussi plein d’autres projets en cours. Je fais construire cette année mon futur atelier (enfin de l’espace pour stocker !). Avec un fabriquant, j’ai également conçu un tout nouveau support aluminium haut de gamme et un système de fixation orignal pour affiche que je compte proposer prochainement (ce qui évite de l’encadrer). ll va falloir que je vende beaucoup d’affiches pour faire tout ça !

Interview via Etsy.fr / Amélie Nello

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