L’histoire secrète de la sérigraphie 1/3 : les pionniers, 1906-1925

A history of screenprinting par Guido Lengwiler Photo © Dezzig

Le mystère de la sérigraphie, une image d’Epinal ? Le principe du pochoir qui lui a donné naissance est pourtant d’une simplicité enfantine : un motif découpé dans un carton, une brosse, un peu d’encre ou de peinture, et on sait “imprimer”.

 

Si les techniques d’impression au pochoir sont nombreuses, elles ont toutes contribué à l’invention de la sérigraphie. Ainsi en 1902, la célèbre manufacture française d’Epinal créait des images en 9 couleurs d’abord manuellement, puis à l’aide de pochoirs amovibles et de brosses automatiques (la machine Aquatype est une petite merveille de mécanique). De 1895 jusqu’à la fin des années 1930, les pochoirs étaient même encore utilisés en France pour rehausser en couleur (gouache) des livres, magazines et journaux de mode !

Aquatypes Imagerie d’Epinal

Photos © Musée de l’Image d’Epinal / www.imagerie-epinal.com

A history of screenprinting Photo © Dezzig

L’origine de la sérigraphie est un mystère. La difficulté de retrouver des documents d’époque est surprenante. On dénombre pourtant à partir de 1906 plusieurs brevets sur l’utilisation de pochoirs amovibles et l’utilisation d’écran en tissu tendu. D’autres, plus rudimentaires, sont même datés de 1880 ! Donc inutile de chercher qui est le premier inventeur de la sérigraphie (Jehan Raymond, Samuel Simon, John Pilsworth, Harry Leroy Hiett…). Vous le découvrirez dans le livre de Guido Lengwiler : ce sont tous des pionniers. Pour s’en persuader, des biographies et des documents inédits sont révélés au fil des pages : un travail documentaire incroyable !

L'atelier de sérigraphie de Brant & Garner en 1913

L’atelier de Brant & Garner en 1913 (San Francisco). Il s’agit de la plus ancienne photo connue montrant l’impression en sérigraphie.

 

 

Velvetone : bienvenue à la Poster Company

 

La Velvetone Company est probablement la plus ancienne entreprise de sérigraphie. C’est la première grande découverte du livre ! Saviez-vous qu’en 1908, les fabricants de fanions américains utilisaient une technique d’impression totalement inédite ? Les fanions de feutre étaient très populaires en Amérique, on trouvait ces souvenirs commémoratifs au moment des fêtes, des élections, dans les écoles et dans les stades de baseball.

 

En 1910, avant de fonder la Velvetone Poster Company à San Francisco, Franck Ottokar Brant était déjà un artisan ingénieux quand il s’est rappelé que les chinois utilisaient (depuis le 14e siècle) des pochoirs renforcés par du fil de soie. Brant pensait donc que la fabrication des fanions était inspirée de cette ancienne technique… Mais le secret était jalousement gardé !

Fanions de feutre (felt pennant) en 1909 / A history of screenprinting par Guido Lengwiler / Photo © Dezzig

Fanions de feutre imprimés en sérigraphie et datés en 1909. Les petites illustrations étaient colorisées à l’aide d’un aérographe.

 

 

“Il n’y avait pas de traces de pinceaux et les couleurs n’avaient pas été appliquées à l’aide d’un pistolet à peinture. Brant ne pouvait s’empêcher d’y penser car il y voyait une technique inconnue pour imprimer des publicités et des posters. Il se fit alors engager […] dans une fabrique de fanions et découvrit pour la première fois les écrans de soie tendue sur un cadre en bois (screen ou écran) et comment ils étaient maintenus à l’aide d’une charnière. Il utilisa la table, la racle (ou raclette) et une encre épaisse. C’était tout ce qu’il avait besoin de connaître…”

 

Les premiers essais furent catastrophiques mais l’ascension fulgurante de la sérigraphie d’art graphique et publicitaire pouvait commencer.

Publicité Velvetone en 1925 / A history of screenprinting par Guido Lengwiler

Publicité pour la Velvetone Poster Company en 1925

Publicités à Toronto (USA) en 1920

Publicités à Toronto (USA) en 1920 © City of Toronto archives

 

 

On réclame du “Pop art” !

 

“Aux USA, on achète parce que c’est nouveau, en Europe on n’achète pas parce que c’est nouveau.” Voici le résumé lapidaire d’un expert suisse en 1931. Une belle différence de mentalité ! Classique et austère sur le vieux contient, la publicité revendique son optimisme en Amérique. La réclame omniprésente dans la rue associe déjà créativité et sophistication.

 

Même si les procédés de la sérigraphie sont décrits très tôt par des brevets en Europe, “les éléments clés de l’impression sur tissu tendu et sa commercialisation ont trouvé un terreau plus fertile de l’autre coté de l’Atlantique et notamment en Californie”. C’est le début d’un nouvel art graphique, bien avant l’avènement de l’art déco en France (1925).

 

Alors qu’on utilisait encore le pinceau et le pochoir manuel, la gravure sur bois ou métal, les Pop (Point of purchase) vont être révolutionnés par la richesse des couleurs et la simplicité d’impression à l’aide de tissu tendu : l’ancêtre de la sérigraphie actuelle.

Billboard imprimé par Selectasine en 1916

Le premier affichage publicitaire en grand format est imprimé par l’entreprise Selectasine en 1916. Rendez-vous compte, ce billboard imprimé en 24 morceaux mesurait près de 5 m x 2,20 m.

Impression par Selectasine en 1926 / A history of screenprinting par Guido Lengwiler / Photo © Dezzig

Du Pop Art façon Roy Lichtenstein avant l’heure ? Non, juste un exemple d’impression étonnant de modernité réalisé par Selectasine à partir d’un pochoir photographique en 1926.

 

 

Selectasine, naissance et déclin d’un empire

 

En 1912, les peintres en lettres trouveront avec la sérigraphie le moyen de gagner beaucoup plus d’argent. Un vrai progrès : finies les longues heures à dessiner puis peindre les enseignes. Les coûts de fabrication permettaient alors de fabriquer des publicités en très grand format.

 

Owens, Beck et Steinman en fondant la Selectasine Company (San Francisco) donneront le nom au procédé qui les rendra célèbre. Ce brevet permet d’imprimer plusieurs couleurs sur un seul écran. Totalement oubliée aujourd’hui cette invention sera pourtant utilisée jusqu’en 1930 et automatisée.

Edwards Owen au Selectasine Printshop en 1916-1918

Edwards Owen aux commandes du Selectasine Printshop en 1916-1918

 

 

En 1927 Edward Owen écrit : “Nos bureaux sont envahis par un flot continu de courriers venus du monde entier”. L’expansion et le vente des licences Selectasine est fulgurante. Ils gagnent près de 400 000 $ en une seule année ! Mais à partir des années 30, le prodédé Selectasine est terriblement concurrencé. Les premiers supports film “pret à l’emploi” rendent la création des pochoirs plus facile. La technologie se met à évoluer si vite que l’impression à un seul écran est délaissée au profit d’un système à plusieurs écrans.

Panneau d'affichage imprimé en sérigraphie par Selectasine entre 1916 et 1918 / A history of screenprinting par Guido Lengwiler / Photo © Dezzig

Panneau d’affichage imprimé en sérigraphie par Selectasine entre 1916 et 1918 en 7 couleurs. A noter que les lettrages étaient encore imprimés au pochoir traditionnel.

 

 

 

 

 

Lire la suite, chapitre 2 : 
Un âge d’or de l’art graphique

 

 

 

 

Les extraits traduits et les photographies issues du livre sont reproduits avec l’accord de Guido Lengwiler A History of Screen Printing: How an Art Evolved into an Industry
Tous droits réservés / Photos © 2014 Dezzig

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7 L’histoire secrète de la sérigraphie 1/3 : les pionniers, 1906-1925

  • Zig

    Les pochoirs ont été utilisés longtemps en France. Pourtant si on parle de journaux à grand tirage comme L’illustration, La lithographie + héliogravure était largement utilisés.

    J’ai retrouvé la page du livre qui concerne cette information : “Entre 1895 et 1935, les pochoirs étaient utilisés pour rehausser les livres, magazines, et journal d’art. ” Durant la période art Déco, L’atelier Jean Saudé est devenu un spécialiste de cette technique d’impression au pochoir.
    D’après d’autres sources (à confirmer) les pochoirs ont été utilisés jusqu’à la fin des années 1930. J’ai donc apporté une première correction à l’article.

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  • Pingback: marion-sarels
  • Tinsel

    Techniquement je peut vous parler du développement des produits sensibles pour la sérigraphie, car moi-même j’ai commencé dans les années 1970 à imprimer les premiers circuits imprimées, puis le développement des émulsions sensibles et des Film indirect et capillaires ont permis que se métier et sa technique se retrouve dans beaucoup de domaines . Je dispose de livres uniques et d’affiches de théâtres.
    Je vous félicite pour votre recherche historique .
    Cordiales Salutations .

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    • nassalski

      bonjour
      Je suis formatrice pour le CAP de sérigraphie industrielle et je suis à la recherche de livres techniques sur ce sujet (insolation, angle d’attaque ….) et je ne trouve pas de bon support avec croquis .
      Pourriez vous m’aider ?
      Merci

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      • Tinsel Guy

        Bonjour,
        En réponse à votre demande oui je dispose d’outils pédagogiques pour la formation dans toutes les applications de la Sérigraphie au temps graphiques qu’industrielle. Certains livres que je dispose ne sont plus éditer. Je fais encore de la formation sur site pour transmettre mon savoir faire,

        Répondre
  • bechet

    Bonjour,
    J’aimerai acheter ce livre et je n’arrive pas à savoir comment me le procurer.
    Pouvez vous m’aider ?
    Guido Lengweiler
    A History of screen printing
    Grand merci

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  • Staudhammer Daniel

    Je suis serigraphe à la retraite j’ai fait mon apprentissage à Genève à la maison Duo d’Art à Genève fondée en 1932 en 1962 j’ai eu le premier certificat de serigraphe en Suisse ensuite j’ai repris l’entreprise en 1963, j’ai travailler avec beaucoup d’artistes connus.
    Si cela intéresse quel qu’un j’ai beaucoup de documentation et l’historique de la sérigraphie.

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